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Mords sur ta chique

« Mords sur ta putain de chique ». C’est par ce belgicisme ampoulé qu’un ami (pas au sens facebookien du terme. Non, tu sais, les gens avec qui tu bois quand ça va, mais aussi quand ça ne va pas, ceux avec qui tu vas écouter de la musique et bien manger. Et parfois tu ne bois pas, tu te parles franchement. Et parfois tu fais les deux, certes), c’est en ces mots imagés qu’un ami, disais-je, me résumait il y a quelques nuits cette période de ma vie et les conneries qui vont avec.

Même à 4 grammes de sang dans l’alcool, le belge est en effet souvent capable d’une fulgurance rare. L’entraînement, sûrement.

Passons sur cette apologie de la boisson qui, bien que subtile, pourrait effrayer, et expliquons tout de go le sens de cette belle locution, peut-être sibylline pour toi, hypothétique lecteur d’outre-Quiévrain ou d’ailleurs.

« Mordre sur sa chique », c’est, en un mot comme en cent, encaisser. Se retenir de l’ouvrir, continuer, avancer en serrant les dents, en mâchonnant sa « chique » (chewing-gum) pour qu’on ne t’entende pas trop grommeler. « T’occupe et trace », « garde le cap et patiente ». Et bosse, bosse, bosse ; améliore-toi et améliore le monde. Il est comme ça, le belge. Pire que Courage Wolf, et à 4 heures du mat’.

Faut dire qu’il vient d’un pays où en dehors de cette philosophie simple et efficace, point de salut. Tu attends pour tout, à Bruxelles, tu as besoin d’une patience affûtée. Tu attends qu’un gouvernement daigne se former plus d’un an après les élections en essayant de ne pas oublier les bruxellois dans le débat. Tu attends que ton facteur daigne comprendre, au bout de presque 3 ans, que vu que tu commandes pas mal sur le net, ça serait sympa d’utiliser ces saloperies d’avis de passage, bordel. Tu attends un métro 15 minutes en heure de pointe en soirée, tu attends qu’au moins un bus de banlieue prévu sur 3 daigne desservir ton arrêt. Tu attends que certains films sortent enfin (ou plutôt, jamais) ou restent plus d’une semaine à l’affiche. Tu attends Spotify. Tu attends que l’administration te réponde en moins de 6 mois. Tu attends l’été. Ce qui fait que tu attends souvent pour rien, en Belgique. Faut bien s’occuper de sa vie en attendant.

Mais revenons à notre loup.

Je ne t’ai pas dit, mais c’est vrai que ces temps-ci, je déconne pas mal. Je glisse, je dérape. Je cherche sans succès ma position de contre dans la Horde, je bloque mal, je dévisse, je me luxe l’épaule. Et je perds des gens en route.

J’ai plein d’excuses très bien rangées, qui m’emmerdent d’un ennui mortel, donc bien au fond, je n’ai pas envie de les détailler exhaustivement au monde entier.

Le Vent passe, et je ne fais pas le poids, nerveusement, mentalement, physiquement, et c’est tout. Sûrement que c’est nul, que tout le monde y arrive sauf moi. Oui, et alors ?

Alors le belge, ça l’énerve, il ne comprend pas. Et tu n’arrives pas à lui expliquer, parce que bien au fond, il a sûrement raison, tu aimerais bien suivre son conseil sans réfléchir. Mais à un moment, simplement, tu dis juste « ¡Ya basta! », sans crier, sans volonté de faire le malin, tu fais vachement plus spectaculaire quand tu veux faire le malin ; pour pouvoir récupérer ton souffle sur le bas-côté. Et cracher ta chique, parce que si tu continues, tu vas te péter la mâchoire et le reste, ou des gens. T’es désolé, mais c’est comme ça. Et faut bien être belge pour confondre la fierté gasconne avec la fatigue. C’est simple pourtant : si ça ne nous fait plus sourire, ce n’est pas de l’orgueil.

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