Lost In The Trees – “Red”
La délicieuse et douce provocation du titre du tout prochain album. Les sensations qui se passent d’explication. Encore !
Lost In The Trees – “Red”
La délicieuse et douce provocation du titre du tout prochain album. Les sensations qui se passent d’explication. Encore !
Des gens qui changent d’idée, qui changent de projet. Des gens qui ne changent pas d’idée, ou pas vite. Jamais assez vite.
Sur un coin de comptoir, chez des amis, lendemain de cuite, comme trop souvent ces temps-ci, me fait-on plus ou moins discrètement remarquer, dans l’entourage. Le café coule, moment idéal pour réfléchir un peu au sens de la vie et à tout ce à quoi 42 ne répond que dans les livres.
Il y a ceux qui prennent les jours les uns après les autres, sans direction, sans vague. Et il y a ceux qui cherchent un sens, sans pouvoir s’en empêcher. “You’ve lost your head in the snow and you can’t find your way home. And if you die before you wake, they’ll make up songs about you.” C’est pas vraiment très drôle ces deux albums de Lost In the Trees que j’écoute en boucle, c’est sûr.
Il y a ceux qui veulent être sérieux. Sérieux pour tout, envers et contre toute joie. Parce qu’il le faut, parce qu’on les a éduqués comme ça. Sérieux jusqu’à la nausée. Ratant le but, les choses importantes ; sérieux sans distinction, presque vulgaires. Et il y a ceux qui préfèrent se réfugier dans la dérision, l’ironie, le détachement. L’élégance de la distanciation, qui permet de signifier clairement l’ordre des choses. Parce que bien au fond, on s’agite quelques années, et puis on passe. Pourquoi y attacher tant d’importance ? Ou plutôt, justement, s’assurer que ce à quoi on passe du temps, de l’énergie, est bien au coeur de ce qui est important. Du chaos et du relativisme, extraire le sens.
Oh et puis il y a les jours où l’aspect solitaire de la quête ennuie. Pas qu’on ne soit pas capable d’être soi-même sans l’autre. Mais c’est juste plus riant. Alors en attendant on rit pour soi, on essaye de faire rire tout ce qui bouge. Et puis c’est moins effrayant de regarder demain avec une main dans la sienne. Supporter la folie ambiante, la connerie ordinaire, et le manque d’à-propos des contemporains. Si cette main reste là assez longtemps pour que les projets ou les rêves prennent forme, évidemment.
Demain, il va falloir à nouveau tracer sa route, debout, de front. Parce que le banquier, parce que les projets, les trains et les avions qui n’attendent que toi pour partir, les années qui passent.
Mais ce soir, on va pouvoir peut être voler quelques heures à ce sérieux, à ce sens, à ces changements. Une playlist, un bon bouquin. Une petite vengeance, un pied-de-nez confortable et dérisoire. Demain.
J’ai appris ce mot – ce mot sublime, ce mot lourd à porter parfois –, à 22 ans, d’une femme dont j’étais éperdument amoureux. Nous avons admis tous les deux, un soir d’été, que c’était une mauvaise idée, quai de la Daurade. Toulouse donc, pour les malheureux n’ayant jamais connu le doux plaisir de finir rapidement sa mauresque en terrasse du Bar des Artistes, pour aller ensuite arpenter le pavé des berges. Adiou, mon Capitole et ma Garonne.
J’ai appris à son contact la mise en abîme (la vraie, pas la pasolinienne du LOL, no offence), celle qui peut finir au fond du fleuve et des choses depuis une arche de pierre blanche un peu trop joliment éclairée, en novembre, quand il ne vaudrait mieux pas. J’ai compris des choses dans mon latin profond, moi, le déraciné. Desdichado avait noté Walter Scott, déjà. Moi, le fils de voyageurs, né en Bretagne, élevé sur la RN20 quelque part entre la Rose et le château comtal de Foix.
Aujourd’hui je me réclame d’une culture latine, méditerranéenne. Je dis « gascon » parfois, pour aller vite, pour faire comprendre plus simplement aux gens du nord, ou leur donner l’illusion qu’ils ont compris.
Le berceau fut cette époque, où je découvris en même temps que je préférais les brunes, et que Pessoa, à lui seul, valait de dépasser la lourdeur si conne du cliché du maçon à la pilosité débordante. Puis vint ce choc, cette beauté brute, mais sourde, complexe, ramifiée, obsédante parfois : saudade.
Saudade. Tout ce qui explique, tout ce qui permet de pardonner un peu à cette putain de nostalgie qui te prend lâchement aux tripes aux pires moments de la vie, sous l’estomac, parfois. Les regrets des matins gris, les sourires simples, en larme ou pas, des soirées passées à se souvenir, en traversant la ville – une ville, les villes, les nuits, et ta vie. Les opportunités perdues, les rencontres passées et présentes, les bouts des autres qui nous font grandir. La construction, la grande aventure du petit Homme et de sa chétive condition, cet abandon nécessaire mais joyeusement douloureux de l’autre possible.
Je ne sais même plus si je lui ai vraiment dit merci pour ça, un jour. Je crois, ou bien j’ai voulu le faire très fort, une autre nuit d’été, près du Bazacle, mais j’ai juste jeté très loin une vieille médaille depuis un pont. La vie nous a ballotté si loin les uns des autres. Les choix, aussi.
Puis on vieillit, le monde tourne, change, nous découvre, et fait un peu sa pute, parfois. On affine ses goûts musicaux, on est simplement curieux, ou bien on veut absolument trouver l’OST parfait du quotidien. On se met à écouter de plus en plus d’ « indie », surtout canadienne. On se prend à rêver de Brooklyn South ou mieux, de Montréal (oui parce que je ne sais pas si tu sais, mais Brooklyn n’est pas au Canada, étonnamment. Moi aussi, ça m’a fait un choc).
Et on se dit qu’ils auraient fait un putain de peuple de marins du sud, ces p’tits gars-là, qu’ils le méritent. Qu’ils ont compris, qu’ils savent, et pas seulement parce qu’ils ont grandi avec Céline Dion à la télé, les pauvres. C’est timidement lisible au fond du tuba, presqu’effacé, gravé tout petit ; c’est près de l’âme, sous les cordes, griffonné sur un petit papier laissé là plié par le luthier ; c’est tatoué sous les barbes peut-être. Ça s’entend enfin, surtout.
Ils méritent l’accolade des frères, de ceux qui sont nostalgiques dans l’apaisement, parce qu’ils ne savent pas faire autrement ou parce qu’ils croient en la vertu d’être debout, d’avancer en se souvenant, face au vent.
Et ça fait du bien d’écouter leur complainte monter, du fond de la rade, là où se retrouvent tous les gens de la mer, à la fin.
Lost In The Trees | A Take Away Show | Time Taunts Me from La Blogotheque on Vimeo.
MAJ 28/08/2010 : Bon en vrai ils viennent de Caroline du Nord, mais ça a été tourné à Montréal, faites pas chier.