Salut. J’ai un soucis avec mon procès en non-empathie bêlante et avec mon identité.
On va peut-être essayer d’éviter d’en arriver à devoir s’excuser de n’avoir jamais mis les pieds à Beyrouth, de n’y connaître personne, et de ne placer la ville sur une carte qu’avec une petite hésitation ?
Je suis né et j’ai vécu en France vingt-huit années, dont quelques-unes à Paris (j’ai détesté ça, mais c’était pas toi Paris, c’était moi). La liste des cent cinquante gens que je regardais se modifier pas assez rapidement sur le « Safety Check Tool » Facebook vendredi soir et samedi matin, ce sont des gens avec qui j’ai déjà bu des verres, refait le monde, travaillé ou plus, voire avec qui je le fais encore régulièrement, souvent dans ce bout de carte entre Nation et République. La dernière personne chez qui j’ai dormi dans cette ville habite au-dessus du Comptoir Voltaire, on y a mangé (une fort correcte terrine de campagne notamment) il y a deux mois.
Alors ne venez pas me faire chier si pour une rare fois dans ma vie ce drapeau, si étrange et si décalé au quotidien, signifie réellement quelque chose pour moi. Et encore, bien malin qui saurait dire quoi exactement. Vu que comme le disait un parangon de vertu, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, le drapeau de mon pays et une partie du parcours militaire de mes deux parents ne me donnent pas une demie-molle en rêvant à des alignements de bidasses. Comme beaucoup de mes compatriotes, je suis également capable de frissonner sans savoir pourquoi et de continuer à trouver les paroles dérisoirement inadaptées à l’époque quand j’entends chanter la Marseillaise, dans la même seconde. Je n’ai pas « Maréchal, nous voilà » comme sonnerie de téléphone.
Soyez peut-être simplement heureux de n’avoir jamais expérimenté le sentiment stupide de n’avoir plus que ce genre de symbole ridicule auquel vous accrocher pour tenter de comprendre une situation et ce qu’elle provoque chez vous, impuissant, à distance, seul devant ce choix lourd de conséquences pour les générations futures qui consiste à tester temporairement une bête fonctionnalité d’un bête logiciel un peu trop présent dans nos vies ou nos morts. Parce qu’aujourd’hui c’était ce qui semblait juste.
Je n’ai pas besoin de comprendre ce qui pousse un redneck, un brésilien ou une lituanienne qui ne mettront peut-être jamais la main de l’homme à moins de cinq cents pieds de Paris à brandir virtuellement eux aussi au même instant, merveilles de la technique, ce drapeau qui n’est pas le leur mais qui semble le devenir un moment, à mon grand étonnement.
Je n’ai pas besoin de savoir ce que tu penses toi de ce symbole, de ces trois couleurs, surtout les deux plus belles, celles du peuple de Paris et de sa barque de râleurs qui ne sombrent pas. On se dit tout, c’est pire que ça en réalité : je m’en fout de ton avis sur le sujet, ça ne m’intéresse pas, surtout pas maintenant, ta gueule. Et encore t’as du bol, par une chance incroyable, je n’ai perdu aucun intime. Mais ce n’est pas à toi de me dire de qui je dois me sentir proche ou de qui je le suis objectivement, ou ce que je dois penser et ressentir à propos du drapeau du pays dont je suis né citoyen.
Je n’ai pas besoin de brandir un drapeau libanais, ou tous les drapeaux de tous les pays et de toutes les factions de tous les pays en guerre plus ou moins juridiquement clairement établie (c’est que j’ai des petites mains, en fait) pour me dire que c’est injuste que quelqu’un là-bas soit peut-être obligé par un monde fou de se demander, comme moi, pourquoi on ne lui lâche pas les basques en le laissant essayer de se raccrocher par petits bouts à ce qu’il peut. On appelle ça « foutre la paix » dans mon pays quand on parle grossièrement parce qu’on aimerait bien qu’on vous lâche les balloches juste un instant. C’est une belle expression (la référence à la paix avec du sexe dedans, pas aux balloches. Pardon Maman).
Si c’est trop peu ou trop dur pour vous, de laisser l’autre respirer un petit moment et se ressaisir dans un coin sans la rammener : y’a un monde entier à réparer. Passez devant avec votre géopoliticien intérieur à l’énergie aussi débordante que sa capacité d’analyse, on vous suit.
Allez-y, on vous regarde, quelque part entre Nation et République.
2 replies on “Mal-être français (Pardon My French)”
C’est bô. J’en ai les yeux qui piquent dis donc.
Je ne te cache pas que je l’ai écrit en plusieurs fois avec les yeux rarement secs.