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Aimables silhouettes vocales

 Hier soir, c’était le dernier jour du festival Europavox dans les superbes écrins du Botanique. Gemmes de son, frissons, grâce, beauté suspendue d’interprètes habitées.

Mysticisme. Chamanisme. Sorcellerie. Tous ces mots usés jusqu’à la corde par une critique qui essaye toujours de mettre des mots là où parfois il faut seulement voir, écouter, ressentir.

Y’a-t-il réellement des mots appropriés pour décrire ce qui se passe quand Mariam entame The Drop devant un auditoire hypnotisé par ses moulinets de bras et ses déhanchés, après un premier titre achevé sans micro face à la salle ? Cette façon de marquer le rythme sur le plancher de la scène de l’Orangerie avec ses immenses talons. Petit à petit on se rend compte de la présence de la batterie planante d’Andreas. On comprend – difficilement – que toutes ces voix ne sortent pas du corps de la brune prêtresse, mais qu’il y a jusqu’une vingtaine de choristes derrière elle sur certains morceaux.

C’est encore ces moments a cappella, cette voix d’outre-scène, puissante, clairement audible sans micro par-dessus les chœurs et la caisse claire.

Charmante, strictement, rituellement.

Le souvenir revient de mon premier contact auditif et visuel avec Wildbirds & Peacedrums, cette vidéo tellement spéciale de Vincent Moon. Le même saisissement, la même incompréhension, la même frustration pourtant si agréable. Cette façon de toucher au sacré puis d’en redescendre aussitôt, souriante, proche.

*

A peine le temps de récupérer du choc qu’il faut se dépêcher de rejoindre la Rotonde pour tomber à nouveau amoureux, on ne chôme pas ici monsieur, on prend de l’émotion dans la gueule à la chaîne !

Agnes Obel, minuscule derrière son grand Nord, et Anna sa violoncelliste. La petite fille de la production presque trop propre de son album fait surface quand elle parle d’un tout petit filet de voix à son public. Genoux serrés, pieds en dedans. Et puis il se passe quelque chose dès qu’elle chante. Ce pied timidement classique qui vient marquer la mesure. Ce grain de voix, cette profondeur, sur Close Watch ou évidemment Riverside. Sans crier gare, Anna place avec une étrange chaleur infernale venue du nord la complainte de ses cordes. Et l’on est simplement pris par la vaste mélancolie qui se déploie d’un coup de ce petit bout de blonde, et s’envole en immenses volutes vers les sommets du dôme, sans que les poursuites ne parviennent à s’en saisir.

Heureux, très heureux homme, qu’Alex le tour manager mais aussi boyfriend nous susurre la belle comme en s’excusant, qui se voit dédicacer un diaphane Brother Sparrow en fin de set. Après qu’Anna ait fait semblant de vendre le merch par diversion, comme pour qu’on n’oublie pas de rester amoureux jusqu’à la dernière note.

*

C’est très certainement injuste, mais l’histoire timidement rock que My Little Cheap Dictaphone essaye ensuite de nous raconter ne me captive pas.

Il y a ces cordes très plaisantes, il y a le mouvement d’humeur du batteur, il y a ce beau moment de solo clavier, mais mon cœur n’y est pas vraiment.

Ce n’est pas de leur faute ; les anges sont passés.

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Le Canada fut vraisemblablement portugais un jour

J’ai appris ce mot – ce mot sublime, ce mot lourd à porter parfois –, à 22 ans, d’une femme dont j’étais éperdument amoureux. Nous avons admis tous les deux, un soir d’été, que c’était une mauvaise idée, quai de la Daurade. Toulouse donc, pour les malheureux n’ayant jamais connu le doux plaisir de finir rapidement sa mauresque en terrasse du Bar des Artistes, pour aller ensuite arpenter le pavé des berges. Adiou, mon Capitole et ma Garonne.

J’ai appris à son contact la mise en abîme (la vraie, pas la pasolinienne du LOL, no offence), celle qui peut finir au fond du fleuve et des choses depuis une arche de pierre blanche un peu trop joliment éclairée, en novembre, quand il ne vaudrait mieux pas. J’ai compris des choses dans mon latin profond, moi, le déraciné. Desdichado avait noté Walter Scott, déjà. Moi, le fils de voyageurs, né en Bretagne, élevé sur la RN20 quelque part entre la Rose et le château comtal de Foix.

Aujourd’hui je me réclame d’une culture latine, méditerranéenne. Je dis « gascon » parfois, pour aller vite, pour faire comprendre plus simplement aux gens du nord, ou leur donner l’illusion qu’ils ont compris.

Le berceau fut cette époque, où je découvris en même temps que je préférais les brunes, et que Pessoa, à lui seul, valait de dépasser la lourdeur si conne du cliché du maçon à la pilosité débordante. Puis vint ce choc, cette beauté brute, mais sourde, complexe, ramifiée, obsédante parfois : saudade.

Saudade. Tout ce qui explique, tout ce qui permet de pardonner un peu à cette putain de nostalgie qui te prend lâchement aux tripes aux pires moments de la vie, sous l’estomac, parfois. Les regrets des matins gris, les sourires simples, en larme ou pas, des soirées passées à se souvenir, en traversant la ville – une ville, les villes, les nuits, et ta vie. Les opportunités perdues, les rencontres passées et présentes, les bouts des autres qui nous font grandir. La construction, la grande aventure du petit Homme et de sa chétive condition, cet abandon nécessaire mais joyeusement douloureux de l’autre possible.

Je ne sais même plus si je lui ai vraiment dit merci pour ça, un jour. Je crois, ou bien j’ai voulu le faire très fort, une autre nuit d’été, près du Bazacle, mais j’ai juste jeté très loin une vieille médaille depuis un pont. La vie nous a ballotté si loin les uns des autres. Les choix, aussi.

Puis on vieillit, le monde tourne, change, nous découvre, et fait un peu sa pute, parfois. On affine ses goûts musicaux, on est simplement curieux, ou bien on veut absolument trouver l’OST parfait du quotidien. On se met à écouter de plus en plus d’ « indie », surtout canadienne. On se prend à rêver de Brooklyn South ou mieux, de Montréal (oui parce que je ne sais pas si tu sais, mais Brooklyn n’est pas au Canada, étonnamment. Moi aussi, ça m’a fait un choc).

Et on se dit qu’ils auraient fait un putain de peuple de marins du sud, ces p’tits gars-là, qu’ils le méritent. Qu’ils ont compris, qu’ils savent, et pas seulement parce qu’ils ont grandi avec Céline Dion à la télé, les pauvres. C’est timidement lisible au fond du tuba, presqu’effacé, gravé tout petit ; c’est près de l’âme, sous les cordes, griffonné sur un petit papier laissé là plié par le luthier ; c’est tatoué sous les barbes peut-être. Ça s’entend enfin, surtout.

Ils méritent l’accolade des frères, de ceux qui sont nostalgiques dans l’apaisement, parce qu’ils ne savent pas faire autrement ou parce qu’ils croient en la vertu d’être debout, d’avancer en se souvenant, face au vent.

Et ça fait du bien d’écouter leur complainte monter, du fond de la rade, là où se retrouvent tous les gens de la mer, à la fin.


Lost In The Trees | A Take Away Show | Time Taunts Me from La Blogotheque on Vimeo.

MAJ 28/08/2010 : Bon en vrai ils viennent de Caroline du Nord, mais ça a été tourné à Montréal, faites pas chier.