http://www.youtube.com/watch?v=pTu05i3wka8
Rivers Cuomo (frontman de Weezer) – God Only Knows (vu sur Pitchfork).
Et pourtant je suis difficile avec les reprises de ce bijou, mais là…
http://www.youtube.com/watch?v=pTu05i3wka8
Rivers Cuomo (frontman de Weezer) – God Only Knows (vu sur Pitchfork).
Et pourtant je suis difficile avec les reprises de ce bijou, mais là…
Jeudi, 14h. Sophie Chevalier annonce sur son twitter que « le Monde de Sophie, c’est terminé. »
Pour ceux que je côtoie ici à Bruxelles, ou sur les réseaux sociaux, cela devrait évoquer quelque chose pour vous. Le Monde de Sophie, c’était cette émission à part du Dimanche soir sur Pure FM depuis septembre, centrée sur une programmation folk et rock indé, avec une petite fixation sur le nord de l’Europe. Sophie nous y parlait aussi de l’actualité et des concerts du genre à Bruxelles.
Je n’ai aucune envie de tomber dans le troll facile (bon ok, je n’aime vraiment pas Stromae) sur le manque de profondeur, d’originalité, ou de classe musicale, simplement, de la programmation habituelle de Pure FM. Ils diffusaient cette émission, c’était en soi suffisant pour moi. Le fait est que le décalage entre la playlist habituelle de la station et les choix de Sophie est réel et profond, j’y reviens plus bas.
Alors quoi, mauvaise audience ?
380 followers sur Twitter, 880 fans sur Facebook, après quatre mois d’antenne seulement. Un public restreint, cohérent en nombre avec le public bruxellois francophone pour ce genre musical, au vu de la fréquentation des salles de concert (qui va en gros de la Rotonde du Botanique à la salle principale de l’Ancienne Belgique).
L’audience des médias belges en général et des radios en particulier est mesurée par le Centre d’Information sur les Médias (CIM), deux fois par an (février et juillet). On pourrait difficilement arguer d’un problème de ce côté-là pour justifier la déprogrammation de l’émission, qui a commencé à la rentrée : non seulement les chiffres ne sont pas encore publiés ; mais encore, parce que du fait d’une proximité avec sa communauté liée à une présence en ligne forte de l’animatrice, l’émission a bénéficié d’un relais très dense sur les réseaux sociaux – Le « Monde So‘», ça a gentiment et efficacement buzzé.
« Raisons budgétaires » ? I lol’d hard!
Il serait inélégant de donner des prix concernant une émission de deux heures pré-enregistrée, facturée par une freelance, tels qu’ils sont pratiqués par Pure FM. Parce que ce montant est ridiculement et scandaleusement bas. Je veux bien que le financement des médias publics belges soit modeste. Mais restons sérieux.
Ah, et si quelqu’un a trouvé une meilleure piste que la musique indé pour la plage du Dimanche 22h-minuit en terme de retombées financières et d’audience, qu’on lui élève tout de suite un monument.
Promouvoir toutes les musiques : les radios ont depuis longtemps prouvé et leur manque de courage culturel, et le fait que leur seuil de compétence et leur volonté en la matière sont très bas.
Comme je l’évoquais en introduction, comme d’autres l’ont suggéré, Mateusz par exemple, l’explication est peut-être à chercher du côté du marketing actuel de la marque Pure FM. Changement de logo, continuité de la programmation vers les nouveautés pop grand public et les rediffusions à outrance sans originalité qu’on entend partout, qu’on ne veut plus entendre, pour ma part.
On reste avec un mauvais goût en bouche, l’impression saumâtre que les nouveautés folk / rock indé ne seraient pas considérées comme porteuses sur un public 15-24 ans, clairement visé par la station.
Dont acte, et c’est tout à fait défendable, si l’on est dans une optique commerciale. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un formidable geste de snobisme envers les auditeurs actuels, renvoyés à leurs CDs, aux blogs de référence, ou à ce qui se fait ailleurs, en néerlandais et/ou sur le net.
C’est aussi une façon d’oublier qu’il n’y a pas d’âge, pas de cœur de cible, pour s’intéresser à une musique plus exigeante, une musique qui apprend la valeur de la performance live, qui préfère l’émotion au prêt-à-écouter fadasse.
La direction de la radio a clairement fait le choix de déserter ce champ de bataille. Celui de la diversité culturelle, de la richesse musicale, de l’éclectisme belge qu’on tente de vendre au monde entier.
C’est un mensonge. Ici comme ailleurs, on veut aller à la facilité, à l’uniformisation, au conformisme, à la soupe sans âme, et je le dis parce que ça me démange, à la musique de merde. Grand bien vous fasse MM. Rudy Léonet (directeur de la radio) et Olivier Depris (chef d’antenne). Les labels industriels n’en demandent pas tant, mais continuez, ça a l’air de vous faire plaisir.
Vous ne me connaissez pas, je ne suis qu’un petit presque blogueur à la con, comme votre profession aime à les ignorer. Vous ne lirez vraisemblablement jamais ce texte, et vous n’en avez strictement rien à foutre, comme de votre responsabilité face à la formation de l’oreille musicale de vos concitoyens. Mais du fond de mon insignifiance, je vous méprise, et ça me détend un peu.
Votre lâcheté radiophonique ne changera pas ma vie ; je vais continuer à croiser Sophie Chevalier au hasard des salles de concert ou des soirées du côté de la place Flagey, et on parlera de nos dernières trouvailles musicales. Je vais continuer plus que jamais à écouter une musique qui enrichit ma vie, et dont il est difficile de pouvoir prétendre avoir fait le tour : je n’ai jamais eu besoin de vous pour ça.
Et après ?
J’espère de tout cœur que la communauté que Sophie a commencé à rassembler autour de choix musicaux similaires aux siens saura l’aider à trouver une formule qui lui permettra de continuer à nous faire partager ce qui hante son laptop et ses écouteurs.
Si vous avez des choses plus précises à lui proposer, ça se passe par exemple ici, ou directement sur son twitter ou sa page facebook (passez-y au moins pour son sublime avatarte de meilleurs vœux).
Vous je ne sais pas, mais Dimanche, quand il sera 22h, ou 23h, je me verserai un verre de vin ou de scotch, et je lancerai Agnes Obel, Laura Marling, ou Esben and the Witch. Parce qu’une voix m’en a parlé, un dimanche soir.
Il y a deux jours, j’ai eu trente ans.
Paraît que ça arrive aussi à des gens très bien.
Je n’ai pas plus mal au dos le matin ; j’y vois toujours aussi mal. Un partout, balle au centre, autant pour la sénilité physique.
J’oublie toujours les noms des personnes que je viens de rencontrer si on ne me les répète pas au moins trois fois dans la première heure ; j’oublie les dates historiques ; je me souviens de détails très précis de jeux auxquels j’ai joué il y a dix ans sans les avoir jamais retouché (par exemple, je suis incollable sur les parcours des derniers niveaux de Paperboy 2 sur Amstrad. Je ne vous dis pas combien c’est utile au quotidien). Voilà pour la dégénérescence du cortex.
Je suis toujours aussi peu doué pour les histoires sentimentales simples, mais parfois on me trouve du charme.
Un mec normal, en somme ? Un trentenaire banal, qui rejoint la cohorte de ses pairs.
Trente ans, dont deux à Bruxelles. Cette deuxième année aura été bien plus riche que la première : emménagement à part, puis ré-emménagement dans un autre appart du même immeuble, plus grand.
CDD, puis fin de CDD.
Des gens, des apéros, des films, des gueuletons, des concerts.
Ah ça oui, de la musique, plein, à m’en faire péter les esgourdes, parlons-en un instant.
Tout d’abord, ces groupes centraux, que l’on découvre par hasard, parce qu’un passionné vous en parle bien. Et à partir de ce moment, on se demande comment on avait fait pour passer à côté.
Dans cette catégorie, il faut classer deux groupes américains, dont j’ai presque honte d’avouer qu’en mars encore, je n’en avais jamais entendu parler. The National, tout d’abord. The Walkmen, ensuite. Entendus pour la première fois grâce à une vieille elfette parisienne et à un blogothéqueur. Pour ne plus jamais les lâcher. Pas une journée sans qu’au moins quelques pistes de Boxer ou de You & Me ne viennent me gratouiller le passé.
Je me suis bien rattrapé, ai vu les uns en concert mythique à Paris, verrai les autres en février ici, à Bruxelles, après les avoir loupé de peu une première fois.
Ils ont cette façon bien à eux de me parler de mon passé, ces bouts de refrain qu’on sait écrits rien que pour soi, parce qu’on n’arrivera jamais à mettre des mots plus précis, plus beaux, plus durs, ou plus douloureux, exactement sur ce qu’on ressent, juste à cet endroit là précis du cœur.
Viennent ensuite ceux qu’on a passé en boucle toute l’année, ceux dont on guette en vain les noms sur les sites des salles de concert de la ville, qu’on a loupé parfois, qu’on verra l’année prochaine, qu’on ne verra peut-être jamais. Ça serait peut-être Lost in the Trees, Warpaint, Aloe Blacc, Janelle Monae ou bien même Arctic Monkeys, voire les Beach Boys.
Il y a ceux dont les albums ne sont pas si marquants, et puis par hasard, par intuition, parce qu’on t’invite, on les voit en concert. Et là tout fait sens. Ce fut le cas cette année pour The Morning Benders (si tu as lu un minimum mes histoires, ça doit t’évoquer quelque chose), mais aussi Lissie. Demain, une copine me fait l’amitié de me demander d’en parler un peu dans le poste des gens qui écoutent, ça va être bien, on va pouvoir cabotiner un peu.
De belles découvertes humaines au final. Des mélodies qui se chargent des souvenirs quand on les passe, cette expérience enrichie et cette indulgence pour ceux qui nous ont réellement touchés, sur scène.
Il y a les concerts où on se pointe sans avoir écouté ne serait-ce qu’un disque en entier. Et on repart conquis ou un peu flottant, pas sûr de soi : groupe ou artiste moyens, ou minimum syndical requis pour entrer dans l’univers pas validé avant de rentrer dans la salle ?
Ils sont assez nombreux dans ce cas pour moi cette année, avec des sentiments très variés en sortant, de l’enchantement à la moue blasée, dus au contexte et à l’agenda particulièrement chargé à l’automne, ou à plein d’autres choses.
C’est normalement le moment où je me fais plein d’ennemis dans les fans absolus qui n’ont pas eu de place. Citons Syd matters, Yeasayer, Martin Dosh, Sage Francis (feat. B. Dolan), Two Door Cinema Club, My Little Cheap Dictaphone…
On sait qu’il faudra y revenir en profondeur pour être honnête avec les artistes.
Parfois, on croise des prêtresses de la voix et de la grâce. Ces chanteuses dont on sait qu’elles n’auraient pas dormi dans la douche s’il avait fallu les héberger, comme une évidence. Mariam de Wildbirds & Peacedrums, ou Agnes Obel, par exemple. Mais j’ai déjà dit tout l’effet qu’elles m’ont fait dans le dernier billet.
Cette année en concerts, ce sont aussi les plaisirs coupables, les groupes liés à un souvenir, à une période, dont on réécoute encore certains titres, et qu’on voit ENFIN cette année.
Parce que c’est l’occasion (The Cranberries – Voir enfin jouer sur scène How ou No Need To Argue, c’est quelque chose), ou parce que grâce à une intrigue aux multiples rebondissements, on met enfin un terme à une malédiction de dix ans ruinant toutes les occasions de les voir (U2 – presque tout All That You Can’t Leave Behind, mon album fétiche, joué ; le stade qui chante pour le groupe ; revoir un pote perdu de vue depuis dix ans. La légende dans toute sa démesure).
Il y a aussi les quelques soirs où j’avais une place, et la flemme, le blues, ou la météo, ont été plus forts que la curiosité musicale. Pas la peine de citer les artistes concernés, ils n’y sont pour rien.
*
Toutes ces foules, ce mouvement, ces sons, ces notes, ces gens croisés, ces verres bus – qu’en reste-t-il en cette fin d’année ?
Comme une impression de m’être nourri de l’intérieur, tout d’abord. D’avoir élargi mon horizon, le champ des émotions auxquelles on a accès, de l’avoir entretenu. Il n’y a que la musique live qui fait ça.
Peut-être aussi des rencontres, ces bruxellois d’abord croisés au hasard des réseaux sociaux ou de la vie de village de Bruxelles la nuit, qui deviennent petit à petit des potes qu’on croise souvent et avec qui on s’amuse, on écoute, et on boit. Des amis qui sait, bientôt.
Tout ça nous fait une année assez riche en gagnance, bien remplie, dense.
C’est loin d’être exactement ce qu’on avait prévu, il y a plein de blancs encore à remplir, et même qu’il ne faudrait pas trop tarder avant qu’il n’y ait plus d’encre, mais dans l’ensemble, on ne s’en sort pas si mal.
Ah, j’ai oublié de parler des trains, et de plein de choses. C’est pas si mal, c’est ça aussi le côté pratique de la musique : un paravent derrière lequel on peut ranger avec élégance – ou du moins essayer – tout le reste.
Bientôt ici, plein de trucs passionnants, à digérer entre les 42 “tops best of 2010 que ça claque” et la dinde !
Hier soir, c’était le dernier jour du festival Europavox dans les superbes écrins du Botanique. Gemmes de son, frissons, grâce, beauté suspendue d’interprètes habitées.
Mysticisme. Chamanisme. Sorcellerie. Tous ces mots usés jusqu’à la corde par une critique qui essaye toujours de mettre des mots là où parfois il faut seulement voir, écouter, ressentir.
Y’a-t-il réellement des mots appropriés pour décrire ce qui se passe quand Mariam entame The Drop devant un auditoire hypnotisé par ses moulinets de bras et ses déhanchés, après un premier titre achevé sans micro face à la salle ? Cette façon de marquer le rythme sur le plancher de la scène de l’Orangerie avec ses immenses talons. Petit à petit on se rend compte de la présence de la batterie planante d’Andreas. On comprend – difficilement – que toutes ces voix ne sortent pas du corps de la brune prêtresse, mais qu’il y a jusqu’une vingtaine de choristes derrière elle sur certains morceaux.
C’est encore ces moments a cappella, cette voix d’outre-scène, puissante, clairement audible sans micro par-dessus les chœurs et la caisse claire.
Charmante, strictement, rituellement.
Le souvenir revient de mon premier contact auditif et visuel avec Wildbirds & Peacedrums, cette vidéo tellement spéciale de Vincent Moon. Le même saisissement, la même incompréhension, la même frustration pourtant si agréable. Cette façon de toucher au sacré puis d’en redescendre aussitôt, souriante, proche.
*
A peine le temps de récupérer du choc qu’il faut se dépêcher de rejoindre la Rotonde pour tomber à nouveau amoureux, on ne chôme pas ici monsieur, on prend de l’émotion dans la gueule à la chaîne !
Agnes Obel, minuscule derrière son grand Nord, et Anna sa violoncelliste. La petite fille de la production presque trop propre de son album fait surface quand elle parle d’un tout petit filet de voix à son public. Genoux serrés, pieds en dedans. Et puis il se passe quelque chose dès qu’elle chante. Ce pied timidement classique qui vient marquer la mesure. Ce grain de voix, cette profondeur, sur Close Watch ou évidemment Riverside. Sans crier gare, Anna place avec une étrange chaleur infernale venue du nord la complainte de ses cordes. Et l’on est simplement pris par la vaste mélancolie qui se déploie d’un coup de ce petit bout de blonde, et s’envole en immenses volutes vers les sommets du dôme, sans que les poursuites ne parviennent à s’en saisir.
Heureux, très heureux homme, qu’Alex le tour manager mais aussi boyfriend nous susurre la belle comme en s’excusant, qui se voit dédicacer un diaphane Brother Sparrow en fin de set. Après qu’Anna ait fait semblant de vendre le merch par diversion, comme pour qu’on n’oublie pas de rester amoureux jusqu’à la dernière note.
*
C’est très certainement injuste, mais l’histoire timidement rock que My Little Cheap Dictaphone essaye ensuite de nous raconter ne me captive pas.
Il y a ces cordes très plaisantes, il y a le mouvement d’humeur du batteur, il y a ce beau moment de solo clavier, mais mon cœur n’y est pas vraiment.
Ce n’est pas de leur faute ; les anges sont passés.
Les meilleurs cuivres de l’histoire du ciné.
A nouveau ces lignes 4, 5, 6 que j’ai beaucoup trop prises, à nouveau l’air et le ciel gris Paname, à nouveau Place d’It’, à nouveau Tolbiac, à nouveau ces allées, ces cafés, ces rues, que je connais encore trop bien. Au taxi qui se trompe, je fais prendre la contre-allée et le raccourci.
Et puis les fantômes. Fantôme de Cee, fantôme d’une vie d’avant, fantôme d’un Paris fantasmé. Pas de regrets, toujours pas, et ça me rassure. Simplement la vie, le courant, la suite. J’arrive à envisager de revenir un jour ici, peut-être. On verra bien, on provoquera, on improvisera.
Je retrouve dans ce bar de quartier tout ce qui fait l’ambiance de café qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Les deux étudiants, manifestement ciné : il donne des idées de scénarios complètement loufoques, elle consigne à la volée sur son notebook. Et parfois elle rit un peu trop fort à ses blagues redites en passant sa main dans ses cheveux. Ils partent, il l’aide à mettre son manteau, hésite ; lui prend la main, enfin. Regards appuyés. Ils flottent un moment, puis quittent la scène.
Il y a Roger (on l’appellera Roger), l’habitué qui habite le quartier. Seul à sa table, casquette savamment posée sur le sommet du crâne, qui lit son Parisien. Parka vintage 1993, indéboulonnable, rassurant à sa manière. Le temps passe plus lentement entre les faits divers du journal de Roger.
Un autre couple. Ça se bécote gentiment mais sans conviction. La partition est rôdée, mais sonne faux. Personne ne veut passer l’hiver seul dans cette ville, on ne peut pas trop leur en vouloir de faire un peu semblant, pour la bonne cause.
La serveuse qui commence ce soir. Gentille, détendue, mais qui ne sait pas s’il y a du Wi-Fi, qui prend le pourboire en rougissant. Et le patron qui parle un peu trop au comptoir, parce que le bar est encore un peu trop vide.
Les passants, parisiens imperturbables, sauvages, intouchables, pressés, défilent. Traversent au rouge. Rentrent la tête dans les épaules et montent le son de l’iPod. Dans la normalité de leur début de soirée, ils s’en foutent complètement que je les détaille, que j’essaye d’imaginer leur vie, d’où ils viennent, ce qu’ils vont faire ce soir.
De l’autre côté de la rue, une cave à vin, une boulangerie, une banque, un libanais. Un coin de rue comme il y en a des centaines, mais qui te fait dire que oui, tu es à Paris. C’est peut-être ça, les racines, se sentir à la maison : l’écrasante banalité qui ne ressemble à aucune autre, qui ne sent pas pareil. Celle que tu peux reconnaître à l’aveugle entre mille. C’est chez toi, tout simplement.
T’es toujours aussi pédante, tu pues toujours autant du métro, Paris, mais je peux bien te le dire après tout : tu me manques un peu quand même. Comme une amante dont on connaît chaque bout de peau, chaque frisson, chaque manie, jusqu’à l’ennui. Avec laquelle on se retrouve à nouveau parfois incidemment au lit, dans un moment de confortable égarement. Mais qu’on a bien quitté pour une raison, même si on ne s’en rappelle pas toujours très bien sur le moment.
*
Après ce début de soirée un peu qu’est-ce que le fuck, je retrouve Isa, et c’est parti pour la Flèche d’Or rénovée, pleine à craquer : The Walkmen in town tonite!
Que dire ? 40°C, déjà.
Une groupe comme à la maison. Et heureux d’être là, sincèrement. Ce petit mot glissé par un poète spectateur à la fin de Woe Is Me (peut-être) : « Bisous les gros ! »
Et gros, ils l’ont été, sans problème.
Comme toujours, les deux premières choses qui me frappent chez eux étaient là, prêtes à m’absorber immédiatement : la posture sur scène de Hamilton Leithauser, ses bras collés au corps, ce dos désarticulé ; et le jeu incroyable de régularité de Matt Barrick derrière ses drums.
Il y a ce moment à la fin de cet inespéré The Rat, où je sais pourquoi j’écoute leur musique, pourquoi je suis là, pourquoi tous ces gens sont là : le plaisir de l’émotion vraie, sans masque, sans fard, sans triche, sans révolte bavarde. Simplement ressentir.
Il y a des bouts d’âme entre les ring shots et les cymbales de Barrick.
Quelques verres plus tard, et après avoir provoqué involontairement un duel de lolfluence entre deux twittas, retour à la base.
*
Un samedi sous les auspices de la bouffe et du riz :
– Brunch gargantuesque au Café du Rendez-Vous ; cadre, service, assiettes impeccables (M° Denfert).
– Rubber au MK2 Hautefeuille. Un film génial, des chiottes d’après séance à l’apocalyptique odeur de pisse antique.
– Apéro au Troll de Ledru-Rollin, un p’tit bar à bières avec un barman qui te tutoie sympathiquement, un très bel assortiment de bières belges bien servies, et du Creedence en playlist.
– Et enfin, dîner magnifique à tous points de vue orchestré par la charmante Morue, qui en parle sur son bout de cuisine 2.0 à elle.
Retour par le premier métro vers 7am, la fraîcheur incarnée.
*
Pour achever proprement ce week-end de gagnance, j’ai flâné dans les couloirs de la très agréable (et complète) expo Brune/blonde de la Cinémathèque Française, que je conseille fortement, avant de rentrer à Bruxelles.
Epuisé, mais tellement détendu ; riche de sons, d’images, de gens. Merci beaucoup Isa pour la logistique, et tous les foufous croisés : vous m’avez fait beaucoup de bien.
“We need to make books cool again. If you go home with somebody and they don’t have books, don’t fuck them.”
Le pardon, le lendemain, la tristesse, les regrets, les brocolis : autant d’éléments du réel qui n’ont, au mieux, aucune utilité ; au pire, la capacité de faire chier le monde quelque chose de puissant (surtout les brocolis).
Alors on lutte, on refuse, on s’arc-boute, on se rebelle, on dit « non ! », puis « putain j’ai dit non, ça va aller maintenant ! », on avance, on pense au dessert. Parce qu’il n’y a pas de raison d’abandonner ou de changer d’avis. Parce qu’on assume, responsable, apaisé. Pourtant, ça ne suffit pas toujours.
Il y a les proches insaisissables qu’on ne sait comment aider. Les malades sous morphine à qui on ne sait pas comment dire que si, ils vont crever, qu’on les aime, mais qu’on ne peut rien y faire, et que ça ne va pas être beau à voir. Les gens qu’on aime, comme ça, on ne choisit pas toujours (le sang, l’émotion, la vie. La connerie ou l’inconscience aussi, parfois), mais qui n’en ont pas toujours envie. Ceux qui nous manquent, à vie. Et puis ceux avec qui, heureusement, c’est simplement vrai et facile.
Il est 3am, The Walkmen m’envoient un peu de courage en direct de Lisboa depuis quelques heures, en boucle. Pour me rappeler pourquoi c’est important d’être vivant, ému, faible ; et pourtant debout, les yeux vers le haut.
Demain je ne prendrai pas le train. Oh, je devrais survivre, je le prends vendredi. Pour aller voir et écouter The Walkmen, justement. Voir la Grande Ville aussi, les gens qui m’y manquent, la fureur, le bruit, les venti lattés, la Tour Eiffel par la baie vitrée de chez Isa, quelques films, des expos. Un peu futile, un peu inutile, mais j’en ai besoin.
Dans un mois, j’ai trente ans. Je n’ai jamais été aussi paumé. Objectifs, moyens pour les atteindre, envies, vision et horizon. Rien n’est en place, rien n’a de sens. Aucun sentiment d’accomplissement ou de jalon solidement posé pour préparer la suite. Mais pour la première fois, peut-être, je l’accepte. Je suis le courant, en essayant de le fléchir un tout petit peu chaque fois que c’est possible. « The sky above is blue as your blood. », les cuivres de Stranded…
Putain, c’est pas gagné. Mais c’est bon d’être encore là.